Tea time à l'Hôtel de Crillon
10 Place de la Concorde, 75008 ParisAprès de considérables travaux de rénovation, l’Hôtel du Crillon a réouvert en été 2017. Ce palace parisien mythique s’est fait attendre pendant quatre ans, le temps de repenser tout le design dans le moindre détail. Situé sur la place de la Concorde, à deux pas de l’Ambassade Américaine, il est Paris sans être Paris. C’est un Paris parfait comme celui rêvé par Woody Alllen dans Midnight in Paris et comme dans l’imaginaire collectif.
Sur la place, malgré la proximité du Jardin des Tuileries, le brouhaha est incessant. Pollution, klaxons, noms d’oiseau. C’est l’autre facette de la capitale, celle qui prend de l’énergie au lieu d’en redonner.
Puis, vous passez les portes de l’Hôtel du Crillon pour découvrir le Tea Time du chef pâtissier Pablo Gicquel et vous êtes dans un autre monde. Un Paris harmonieux où il fait bon vivre. Cette bulle est un idéal parisien, et en devient emblématique.
Dans la cour d’honneur, on pourrait presque entendre les oiseaux chanter. Un calme paisible règne, au milieu de la végétation et des sculptures. Le service est exceptionnel. Pas obséquieux ou chichiteux, comme on aurait parfois tendance à le craindre, mais professionnel à l’extrême.
Le vrai professionnel : sachant sentir les envies de chaque hôte, quand il faut bavarder ou non, rendre à l’aise des visiteurs intimidés. Les habitués peuvent avoir le droit à la bise tandis que l’on sent une sincère curiosité et une envie d’échange avec les touristes de passage.
Prévenants, ils ne manquent aucun geste, aucun moment où la tasse de thé est vide et doit être resservie. Pour autant, vous ne vous sentez pas scrutés. C’est comme si tout coulait de source, tout gardait une apparente facilité. Bien sûr, il n’en est rien, c’est le fruit du perfectionnisme et de l’expérience. L’élégance est donc de ne pas le mentionner et de prétendre que tout cela est naturel. Connaitre la carte de thé choisie par Lydia Gautier par cœur, ainsi que chaque détail de conception des pâtisseries fait aussi partie des qualités de l’équipe.
Pendant que vous choisissez, c’est la pâtissière elle-même qui vient en salle avec sa plaque qui sort du four. Dessus, des madeleines chaudes au miel pour ne pas faire mentir Proust. Le beurre a légèrement caramélisé avec le miel et ses notes de sous-bois et de châtaigner. Le cœur est onctueux, et a une texture qui se rapproche du coulant ou du fudge. C’est une gourmandise qui marque, une nouvelle définition du luxe: une attention servie pile à temps, dégustée à l’instant exact nécessaire, préparée à la perfection.
Pour le goûter, la carte de thé est particulièrement belle, avec notamment un Zesty Kukicha combinant citronnelle du Sri Lanka et finesse du thé vert du Japon. Les thés glacés sont inventifs et désaltérants. Mention spéciale pour le #10 is Luxury au pu erh, pamplemousse et fève tonka : légèrement fumé, une pointe d’amertume, du zesté et un épicé remémorant l’amande. Ensuite, vous pouvez notamment opter pour deux options : Le Goûter des Ducs ou le Goûter des Lords.
Ce dernier est la réinterprétation du high tea britannique, avec une touche locale. Au lieu des finger sandwiches au pain de mie blanc sans croûte et au concombre, voici des rectangles dorés au foie gras et chutney, ainsi qu’au saumon fumé et caviar. Oui, vous gagnez bien au change. A côté, un croque croustillant garni de poulet effiloché onctueux et de fromage qui fond en bouche.
Le plateau à étage est aussi de rigueur. Au rez de chaussée, des scones aux fruits secs qui sortent du four, avec de la clotted cream épaisse, et des confitures qui réveillent. La traditionnelle fraise est agrémentée de vanille tandis que l’abricot s’acoquine d’amandes en éclats.
Au premier, voici des moelleux. Le chocolat garde une amertume bienvenue, qui ravira les amateurs de sensation cacaotée. La framboise rappelle le Victoria sponge cake, spécialité estivale. Le dernier mélange caramel et cacahuète avec une pointe de sel.
Puis, tout en haut, une parfaite tarte de saison, ici à la rhubarbe. Quelques fleurs de sureau contrastent avec le tendre rosé du fruit pour une douceur parfaitement printanière. La rhubarbe est cuite tout en gardant une certaine texture, de la tenue et de l’élégance.
Le second tea time possible, et certainement le clou du spectacle, est le Goûter des Ducs. Il est dédié à Marie-Antoinette, qui aurait pris ses leçons de piano à l’Hôtel de Crillon tandis que c’était encore une maison particulière.
Chaque étape de ce goûter est en réalité un hommage à l’histoire du lieu, une retranscription gourmande d’un bâtiment iconique de la vie parisienne. Dégusté sous un parasol par une belle journée ensoleillée, dans cette cour aux pierres jaunes apaisantes, vous avez l’impression de vous régaler de Paris et de son histoire.
Premier acte, sous la forme de la rose, avec Fleur de Jasmin. Un entremets gracieux, sans tape à l’œil inutile. Il s’inaugure avec un jus shiso – groseille. Peu sucré, il rafraîchit le palais et met en appétit. Vient ensuite la pâtisserie : une mousse aérienne au lait de coco, légèrement infusée au jasmin, un cœur à la fraise des bois. Nuageux et poétique.
Remarquez la structure de L’Eclat. Il s’agit de la reproduction chocolatée des moulures du plafond du jardin d’hiver. La beauté du geste, tout cet effort pour un plaisir esthétique et historique.
La tarte est garnie d’un praliné maison. Il est à la fois crémeux et croustillant, tout en ayant le bon goût de ne pas être trop sucré. C’est un dessert pour les véritables amoureux de noisette.
Vient ensuite le Petit Chou d’Amour. C’est ainsi que Marie-Antoinette appelait son fils Louis XVII, bien que ce surnom mériterait d’être remis au goût du jour.
Valse à deux temps : Sorbet mascarpone et citron vert, encore cette envie d’avoir un palais frais et léger. Puis, un chou, mais quel chou. Imaginez la puissance des pommes tatin caramélisées. La fraîcheur et le croquant d’éclats de pomme crue. Pensez aux notes d’un vieux rhum épicé. Remémorez-vous votre dernière crème diplomate. Ajoutez de la vanille. Ajoutez (encore) de la vanille. Puis, touche finale : de la vanille. C’est le combo de choc du Petit Chou d’Amour. L’apothéose finale, l’équivalent gustatif d’un feu d’artifice versaillais.
Voici ce que vous apportera un tea time à l’Hôtel de Crillon : un moment hors du temps, précieux. Une tranche de romanesque savoureux et inoubliable. La véritable élégance à la française.